L’homme qui faisait vieillir les femmes

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Un homme, sorte de Barbe Bleue aux mains propres, fait une étrange collection de femmes. Sur sa bicyclette rouge, sa femme le suit dans ses périples parisiens. Pour découvrir son secret, elle va jusqu’à se transformer en souris et même en petit parasite.

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Extrait

Un vrai Petit chaperon rouge comme il était une fois. Une parka rouge extrêmement seyante fermée par un col rouge, ça doit être du lapin car il perd ses poils comme un vieux chien. Un vélo rouge aussi, mais d’un rouge moins érotique, un rouge de vélo tirant sur le bordeaux. Bref, elle annonce la couleur comme on dit. Une manière à elle de s’annoncer, de se faire entendre (sans se casser la voix pour une fois), de venir récupérer son bien, plutôt son mal, un mal endémique à défaut d’être son mâle, de faire jouer cette couleur dans les gris froids des façades sans ciel de cette impasse sinistre, comme pour dire Je ne suis pas morte moi la répudiée et je n’ai pas peur du loup. Le rouge de l’uniforme des jeunes pioupious que l’ennemi n’avait plus qu’à dégommer comme les pommes juteuses d’un verger de paradis. Rouge, le sang de son cœur à elle qui saigne en cascades d’une hémorragie interne intarissable. Rouge de l’amour et du sexe qu’il donne à une autre. Nous y voilà. Une autre. Pas elle. Comme s’il s’était trompé de femme. Elle ou une autre ça revient au même pour lui. Un lit ou un autre, des seins ou des autres, (si, la grosseur, il préfère les gros seins à palper pour la pulsion, mais les petits à voir, pour l’esthétique). Quant aux vagins comme il dit très chirurgicalement, son sexe aveugle n’y voit pas de différences notoires, (en y réfléchissant bien, il aime les chairs molles dans lesquelles il pénètre sans se fatiguer, car entrer son sexe immense jusqu’à la garde est pour lui une façon d’être accepté sans conditions, sans limites, adulé, ça ne l’empêche pas de regretter les périnées musclés, toujours pour l’esthétisme et aussi il faut le dire pour les contractions plus fortes). Il y a deux catégories pour lui : les femmes à regarder et les femmes à pénétrer. Elle et les autres. Deux sortes de consommation qu’il fait se rejoindre dans un même déni de la réalité. Puisqu’il peut aussi bien dire que ce n’est pas vrai ces notes d’hôtel, pas vrai son grand corps inquiet franchissant le numéro sept de l’impasse, pas vrai sa voix chaude reconnaissable derrière la porte du palier de l’Autre et sa toux nerveuse quand il commence anxieux une phrase qui l’engage, pas vrai ses bâillements sonores au milieu des bruits de fourchettes contre l’assiette, et entre les silences les ricanements de l’Autre se pâmant d’admiration, (pas le mien de rire… je veux dire pas le sien à elle la quittée, je m’emmêle car ça nous arrive à toutes un jour, le loup ne veut plus nous manger), pas vrai le tampon périodique légendaire oublié à la campagne dans la poche d’un vieux survêtement pendu derrière la porte de la remise, pas vrai les retraits bancaires juste à côté du numéro sept. Un rêve pour lui, un cauchemar pour elle. Mais rien de tout cela n’a eu lieu, il voulait juste vérifier qu’il existe encore, qu’il bande surtout, comme on se pince pour voir si on est réveillé. Rien de plus. De là à dire qu’il est avec une autre, non il ne faut pas pousser mémère dans les orties. (D’ailleurs sa teigne de mère-grand il l’a bel et bien poussée un jour qu’elle l’énervait, elle a chuté de tout son embonpoint, ficelée comme un rosbif dans sa blouse à fleurs et est restée coincée comme un gros cafard à la renverse entre le lit et le mur, mais c’est une autre histoire où il n’y a pas de place pour le petit chaperon rouge).

Cette couleur elle l’arbore innocemment parce qu’elle lui va bien au teint, (et puis elle fauche pas mal, elle n’a pas toujours le choix de la couleur, c’est l’occasion qui fait le larron, ça aussi faudra en reparler une autre fois, une sorte de « Journal d’une voleuse »). Un joli coquelicot, disent certains, ce qui est vrai. Les plus belles jambes de la rue Dénoyez, disent les voisins. On se demande pourquoi il veut toujours vérifier ailleurs ses possibilités érectiles et l’étendue de ses zones érogènes alors qu’il possède une femme belle comme une crevette décortiquée, disent d’autres. Classique pensez-vous, c’est toujours plus beau d’en face. Pourtant elle, elle l’aime lui et son grand sexe et n’aime qu’eux, ça fait déjà beaucoup. Alors tout naturellement, la couleur du sexe turgescent est sa couleur.
Mais ce matin là sur sa bicyclette elle tient aussi à s’inscrire dans la grisaille du petit jour poisseux, comme pour tracer un sillon dans la réalité qu’il nie en bloc. Un Je suis rouge donc je suis, qui lui donne le courage de vaincre sa peur d’aller planquer au numéro sept de l’impasse louche qui sent la pisse de chat et la fiente de pigeon malade. Inconsciente des risques accrus par cette tenue qui n’est pas de camouflage, elle court se jeter dans la gueule du loup faute de ne pas être poursuivie de ses assiduités en forêt. De Père Lachaise à Jaurès, point de forêt et pas de quoi musarder sur le bitume par une circulation déjà dense pour une heure matinale. En guise de petit pot de beurre son panier à vélo et son antivol, sa mère-grand est morte depuis longtemps mais le loup est bien dans le lit d’une autre. Il l’attend le bonnet sur les oreilles, son bonnet d’hiver sur ses petites oreilles pointues qu’elle aime tant, dont il se coiffe pour sortir six mois de l’année car il s’enrhume facilement du crâne.

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