Amours.orgues

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Genre : Farce virtuelle
Répertoire : Jeunesse
Distribution : 13 personnages (9H- 4F)
Durée : 40 minutes
Thème : Virtualité
Sujet : La réalité de la vie d’une famille s’effaçant peu à peu au profit d’une seconde vie virtuelle, ses membres ne communiquent plus que par avatars interposés mais l’amour bien réel sera le plus fort…

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Extrait

Vanessa / Odile : Je m’appelle Odile mais mon nom d’avatar c’est Vanessa. C’est ma grand-mère qui m’a donné ce prénom nul, ça lui rappelle sa jeunesse. Tout le monde dit « croque Odile y a de quoi manger ! ». Le médecin a dit que si je continue à manger des chips en jouant sur Second Life, je vais devenir obèse, pour l’instant je suis seulement trop grosse pour mes treize ans et personne ne m’aime. Ma grand-mère s’en fiche, elle dit qu’il vaut mieux faire envie que pitié et qu’elle a assez souffert de la faim pendant la guerre de je ne sais plus quelle année. Elle croit que je dors dès que j’ai fini mes devoirs. Je me connecte après sa dernière ronde. Son avatar à elle c’est Eisenhower, du nom de la maladie, elle a de plus en plus de bogues, elle ne pourra plus me garder. Faudra que je retourne chez mon père. Comme lui je me marierai plein de fois pour la vie.

Marlon / Robert : Marlon, comme Brando, sinon dans la vie réelle c’est Robert le père d’Odile, mais j’y passe de moins en moins de temps dans cette chienne de vie. Ma biographie virtuelle est narcissiquement plus valorisante : des centaines de films, d’oscars, de femmes, de milliards d’euros, de voyages. Alors ne venez pas me compliquer la vie avec votre réalité qui ressemble à un mur contre lequel on se cogne une tête pleine de migraines, encore moins avec l’imaginaire ou la fiction comme disent les écrivains. On n’en est plus là depuis belle lurette. Dans le monde des avatars aucun compte à rendre à personne. D’un simple clic vous vous TP ailleurs… télé portez pour ceux qui n’auraient pas compris ! Vous effleurez une petite touche et vous échappez à votre interlocuteur ou vous le rendez muet. Par exemple en pleine scène de ménage vous coupez le son à votre avatar de femme et pour vous détendre vous faites l’amour à trois amantes à la fois par avatars interposés. Pratique non ? Fini les divorces coûteux et déchirants, un seul clic et vous êtes peinard ! Dépassés les clones qui vont faire l’amour à droite à gauche tandis que l’original reste à la maison avec la femme à laquelle le destin vous a marié.

Mireille / Roger : (Il est habillé en femme). Je suis allé au bout du monde et au Brésil pour changer de sexe. Ça coûtait trop cher et j’avais peur de me faire opérer. C’est risqué, un petit coup de bistouri en trop et vous ne ressemblez plus à rien, même pas à un escargot hermaphrodite. Je me suis épanoui dans ma nouvelle vie virtuelle, je change de sexe pour trente euros par mois et sans me faire charcuter. Je m’amuse comme une folle, j’ai même plus envie de traîner à Pigalle pour choper un mauvais truc. Le net c’est propre et net, comme je dis. Aseptisé. Avec un bon antivirus aucun problème. Je vous laisse, mon rendez-vous viens d’arriver, un bon père de famille… je vais l’emmener en boîte pour lui changer les idées. Ma petite Mireille t’es ma merveille, qu’il me dit. Il adore danser tous les vieux trucs comme la valse et le cha-cha-cha, faut dire que question chat y s’y connaît, c’est lui qui m’a dragué.

Jean-Dominique / Le père de famille : Je suis en retard ! Ma petite Mireille t’es ma mer-veille.

Mireille / Roger : Si tu veux, je suis ta mère, je suis tout ce que tu veux et je te veille, t’éveille, t’émerveille, t’enmireille. On s’amuse comme des fous.

On ouvre le passe-plat pour apporter de la nourriture à Odile. Dans un autre lieu, qui peut être assez incongru, apparaît la grand-mère et son avatar Alzheimer qu’Odile appelle Eisenhower.

Alzheimer/ Mamie : Je me fais du soucis pour cette petite, elle en oublie de manger. On leur donne trop de travail. Elle passe ses nuits sur… j’ai oublié le nom… sur… une planète, pour faire ses devoirs. Tout ça pour se retrouver au chômage !

Vanessa / Odile : (Elle mange). Merci Mamie, t’inquiète je cherche de la doc. pour un exposé. Zut, mon amoureux s’est tiré juste au moment où on allait s’embrasser, il a cliqué sur « absente ». Même pas le temps de dire merci à Mamie, dès que j’ai le dos tourné, il sort avec une autre. Finalement on en bave encore plus, nous les filles : ils peuvent faire tout ce qu’ils veulent avec un bon logiciel. Don Juan que la prof essaie de nous faire lire, c’est ridicule à côté. Kevin m’a dit que sur le visiophone de son mobile il a embrassé langoureusement sept filles en sept minutes, sans bouger de sa chambre, tout en commençant à en draguer une autre sur amours.orgues, c’est son record. Moi c’est le grand amour que je cherche toutes les nuits, après je m’endors en cours sur Don Juan.

Jean-Dominique / Le père de famille : (Il parle à sa femme qui vient de lui passer un verre par le passe-plat). Non chérie bonne nuit, tu peux éteindre la lumière, je travaille sur mon nouveau projet. (A Mireille/ Roger) C’est à ma femme que je parlais chérie…

Mireille / Roger : Elle ne le lâche pas d’une semelle. Tu viens danser ?

Jean-Dominique / Le père de famille : Attend j’ai besoin d’un remontant… garçon ! une vodka bison s’il vous plaît… (Il boit le verre qu’on vient de lui apporter) Ma femme flippe depuis que je passe toutes les nuits avec toi. Elle s’inquiète pour ma santé, on parle beaucoup du surmenage des cadres en ce moment.

Mireille / Roger : Pourtant on ne fait rien de mal, nous ne sommes que de pauvres petits rayons divergents constituant une image virtuelle. Des petits pixels inoffensifs.

Jean-Dominique / Le père de famille : Oui mais ma place reste froide dans le lit…

Mireille / Roger : Achète lui une bouillotte !

Jean-Dominique / Le père de famille : T’es bête ! Allez viens danser la valse des pixels…

Musique. Lumières de boîte de nuit.

Alzheimer/ Mamie : (Elle danse sur la musique). Autrefois on allait danser tous les dimanches au bord de l’eau. Après une promenade en barque mon amoureux m’emmenait dans les fourrés pour de chastes baisers, c’était beau. Autrefois j’avais un mari, je n’en entends plus parler, je ne sais pas ce qu’il est devenu, je ne sais plus s’il habite encore avec moi, faudra que je vérifie, il y a longtemps que je ne l’ai pas vu. Odile dit qu’elle va le retrouver sur Second Live, il paraît qu’on peut convoquer les revenants et les fantômes à volonté, ressusciter toute la famille et leur faire accomplir ce que l’on veut, c’est pratique. Je demanderais à mon mari de m’emmener en Australie, on n’a jamais eu assez d’argent pour y aller.

Le grand-père et son fantôme : (Apparaissent aussi dans un endroit incongru). Ma femme bogue de plus en plus, l’autre jour elle a perdu la moitié de ses données, je ne sais pas si je vais pouvoir la sauvegarder encore longtemps. Odile m’a conseillé de la défragmenter, mais je n’ose pas c’est délicat à notre âge.
Viens mamie, on va se mettre en veille, c’est l’heure.

Vanessa / Odile : Papi qu’est-ce que tu fais, c’est pas le moment, je vais louper l’amour de ma vie, c’est pas aujourd’hui qu’on s’est donné rendez-vous, toi aussi tu perds la mémoire, c’est demain que tu m’emmènes au zoo comme quand j’étais petite, j’adore toujours autant les singes. Vite grand-père, sauve-toi, je ne veux pas qu’il te voit… la honte ! Et n’oublie pas www.bêtes à poils.zoo, l’autre jour il s’est retrouvé sur un site porno !

Carla / Cécile : (Elle écrit un sms). Ça va Odile, tu fais quoi, t’es où ?

Vanessa / Odile : oh, c’est ma copine Cécile elle me casse les pieds, je préfère son avatar Carla.

Carla / Cécile : Tu viens en ville avec moi ?

Vanessa / Odile : Pour quoi faire ?

Carla / Cécile : J’sais pas.

Vanessa / Odile : oh, l’angoisse ! Je la vire de mes favoris, elle me colle.

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