Enfer à domicile

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Présentation

La relation perverse, où chacun alimente la perversion de l’autre sans mesurer la sienne, est ici quasi cliniquement disséquée. Quoi d’autre que la plainte et le cri devant un égoïsme manipulateur qui accule la délaissée au désespoir et à l’humiliation jusqu’à la folie ? Quoi d’autre que la fuite devant cet amour ventouse dans lequel la délaissée veut aspirer le fuyard ? Piège à deux que le double ne manque pas de souligner : « si tu le harcèles de la sorte pas étonnant qu’il ait toujours un œil sur les aiguilles… ». On est dans l’étouffoir des relations malsaines. Il la fuit, elle le traque, fouillant carnets et poches à la trace d’une « initiale » comme sont surnommées les rivales comptabilisées dans le carnet secret où l’infidèle note ses exploits amoureux, s’anéantissant à la contemplation d’un slip dans une lamentable quête à la fois tragique et grotesque amèrement commentée par le double : « tout ça à cause d’un slip ou d’un tampon périodique me direz-vous, on a la transcendance qu’on peut ». Et c’est cette ironie de la narratrice sur elle-même, qui sauve ce naufrage du naufrage par un constant jeu de facettes.
Le jeu du double « je » – qui est aussi double jeu du « je »- délivre le lecteur de l’asphyxie sentimentale, dans laquelle il le plonge par ailleurs. La déperdition que l’auteure détaille avec la crudité de langage et le regard sans concession, qui traversent tous ses ouvrages, fait écho en tous à la douleur inévitable de la séparation.

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Extrait

Comment ne pas être en larmes quand on t’aspire les entrailles avec une ventouse et que tes seins se transforment en calcaire parce qu’il est au lit avec une autre dans ta maison, dans ton lit avec l’autre sur ton oreiller, au lieu de me voir sur l’oreiller d’à côté, de me regarder dormir comme les loirs du grenier, c’est l’autre qu’il voit, qu’il sent, l’abandon d’une autre sur mon oreiller qui provoque son érection matinale, peut-être qu’il était à ma place et qu’il l’avait mise sur son oreiller, dernier soubresaut d’attention, ou bien ils étaient sur le même oreiller c’est encore pire, dans notre chambre avec mes mouches mortes autour de la lucarne et ma chaise près du radiateur où je réchauffe mon pyjama le soir, mon air empli du parfum de la lavande qui sèche sur la poutre, qu’elle respire, et mon plancher qu’elle a fait craquer aux même endroits que moi sur lequel elle posait des pieds nus, tout ce qui était à moi, tout ce qui était moi, elle a bu dans mon bol, avec ma théière, mangé dans mes assiettes et léché ma fourchette, elle a ouvert le buffet et elle a vu comment je mets les petits plats dans les grands et les fresques que j’ai dessinées sur les portes, elle a regardé des photos de moi sur la vitre du buffet, elle sait qui je suis comment je suis faite moi non, elle a vu mes peintures accrochées au mur, elle a incrusté ses fesses dans les gros coussins de plume du divan, elle a pris ma place partout, dans la voiture à côté de lui, sur le pas de la porte, dans les w.c., dans l’escalier, sous la pomme de douche, elle a vu ce que j’ai écrit à la craie sur l’ardoise de la petite cuisine, elle m’a chassée de partout, il l’a mise à ma place, je n’existais plus, je n’avais plus de sang, plus de seins, plus de fesses, devenue légère et blanche comme Sainte Thérèse, avec juste des os qui se baladaient un peu partout sous ma peau, j’étais rayée de la liste, de la carte, de l’état civil, mon nom ne figurerait plus nulle part, une négation, rien, plus

sèche tes larmes de martyre, elle va subir le même sort que toi en pire parce qu’elle n’a pas l’habitude, Don Juan cherche une femme qu’il ne trouvera jamais, il nous abandonne toutes pour l’introuvable et fini par la trouver au cours d’un dîner qui se termine mal, rassure-toi il ne l’a pas fait léviter, ça ne l’intéresse pas de faire l’amour, c’est plutôt de l’excitation mentale

je voulais faire quelque chose pour qu’il m’aime instantanément, quelque chose de spectaculaire, par exemple être dans les journaux avec les photos de la voiture suspendue au-dessus du vide

il ne t’aurait même pas téléphoné

disparaître pour qu’il me cherche jour et nuit, qu’il lance des appels angoissés vers les hôpitaux, les commissariats, les frontières, mais je ne savais même pas où disparaître

 

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