Sans lui

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Sans lui

Présentation

Sans lui tire à boulets rouges sur l’éternelle imbécillité des prudents et des lâches, de ceux qui confondent l’amour avec la possession : un homme quitte une femme sous la pression de ses parents, mais on n’est jamais sûr qu’il la quitte vraiment. C’est féroce, et tellement plein d’amour : un mélange de cruauté et de bonté très rare. Il y a aussi, sans doute, dans ce théâtre d’écorchée qui met à nu notre système sanguin, quelque chose d’autobiographique, mais des vérités personnelles distordues jusqu’à l’amusement le plus libre, le plus libéré et le plus libératoire. (Extrait de la préface de Gilles Costaz)
L’auteur nous offre là une de ses farces ubuesques toniques dont elle a le secret. Toujours très personnelle, son écriture met les pieds dans le plat dès la première réplique et fait mouche à tous les coups. Ce style a la particularité d’être très concentré et de faire fonctionner la machine à fabriquer le théâtre à plein tube. On aime bien tous les personnages, mais on a une tendresse particulière pour le témoin complice, Eve, spirituelle et fragile… La fin, toujours si difficile à négocier, est forte, vraie, émouvante.
On a hâte de voir cette pièce représentée par des interprètes idoines. Car, comme le dit si bien l’auteur, et d’autres, le théâtre, c’est les mots plus les interprètes.
Pour finir, souhaitons que les directeurs de théâtre sortent de leur frilosité concernant un genre théâtral beaucoup plus public qu’il n’y paraît. (Jean-Marie Galey, Beaumarchais)

Genre : comédie grinçante
Répertoire : Adulte
Distribution : 11 personnages (4H-2F)
Durée : 75 minutes
Thème : Famille

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Extrait

Bellemère : Je ne vous comprends pas si vous l’aimez, aimez ses choix ! D’autre part, je dois vous faire une confidence, je me sens toute éperonnée d’avoir à nouveau un homme à la maison j’ai toujours perçu son père comme un mari puisque c’est sa fonction et j’ai vite oublié l’homme, Goth merci nous sommes une famille heureuse, nous nous méfions de l’amour, nous nous aimons avec prudence!

Eve : Une de plus dans le rapport Kingsley !

Bellemère : Si c’est de la chose sexuelle à laquelle vous faites allusion, nous montons régulièrement dans la chambre avec mon mari, après le repas de midi, avant de faire la vaisselle, afin de subvenir à ses besoins dans les meilleures conditions non professionnelles.

Eve : Je rêve ! Enfin non, je ne sais plus…est-ce que tu m’a quittée ? Tu es tellement plus présent par ton absence que je ne sais plus si je te préfère sans moi ou avec moi…reviens occuper la deuxième moitié de notre couple, cette place est toujours restée vacante…

Bellemère : A qui elle parle ?

Eve : Je sais que tu es à peu près autant capable d’aimer qu’une page blanche, ça ne fait rien, je la remplirai pour toi, c’est mon métier, je t’inventerai des pays où l’amour sera roi, ou l’amour sera loi… (Elles commencent à chanter toutes les deux d’une manière sinistre « Ne me quitte pas » de Brel, Beaupère et Adam chante en play-back, Eve pleure.)

Bellemère : On peut devenir amies si vous voulez, on ira boire des thés chez Mariage frères, je vous donnerez de ces nouvelles. (Eve pleure de plus bel.) Qu’est-ce qui vous arrive ?

Eve : Rien, c’est le mot « mariage »…

Bellemère : Pas de sentimentalité ma fille là où il n’y a qu’obligation contractuelle et association de malfaiteurs, là où il n’y a que réponse physiologique ou comportementale à une sécrétion de phéromone.

La belle-mère va rejoindre le père et le fils autour de la table. Ils apparaissent comme un cauchemar de Eve.

Bellemère : Je voudrais mettre les choses au clair, nous avons été extrêmement déçu par cette fille qui mine de rien, a réussi à se glisser toutes les nuits dans le lit de notre fils depuis pas mal d’années. Je sais tout ce qu’elle vous raconte sur nous dans ses livres…enfin des livres… plutôt des feuilles tout juste destinées à finir accrochées au clou de tinettes de campagne, j’espère que vous ne les achetez pas ! C’est une folle éprise de liberté comme tous les fous, je plains mon fils d’avoir attendu si longtemps qu’elle se décide en vain à le quitter, c’est nous qui l’avons poussé à se marier, c’est une erreur je le regrette. Elle a partagée chaque nuit sa couche, et collé ses seins à son dos de nageur, emboîtant ses fesses de sprinteur, accrochée comme une sangsue à son appareil génital, tel un enfant qui agrippe son nin nin pour s’endormir. Attendant chaque soir qu’il accomplisse son devoir, ce dont il s’est acquitté scrupuleusement.

Adam : Euh… Je tiens à apporter une petite précision, mon membre reste irrémédiablement détumescent malgré…
Bellemère : Heureusement, il ne manquerait plus que ça !

Beaupère : N’interromps pas constamment ta mère !

Bellemère : Enfin bref, il a dû partager son odeur, sa moiteur, sa peau, sa respiration et la moitié du lit…

Adam : Euh… Je dormais dans le salon depuis…

Bellemère : Un détail pour une mère…

Beaupère : Laisse parler ta mère !

Bellemère : Au début quand il venait encore nous voir le dimanche, elle s’asseyait sur ses genoux à tout bout de champ, à l’apéritif et au dessert, j’avais un mal de chien à les éloigner pendant le repas, sinon elle n’avait de cesse de lui baver sur les joues et mettre ses mains grasses sur son cou, lui papouiller le ventre au point de l’empêcher de digérer…

Adam : Oui, j’étais toujours malade en rentrant le dimanche soir de chez mes parents et…

Eve : Je l’ai déjà dit !

Bellemère : On le sait, vous nous avez calomniés et ridiculisés dans tous vos livres…

Beaupère : Jusqu’à nous accuser de…

Bellemère : J’espère que vous ne lisez pas ses cochonneries, ne vous inquiétez pas nous avons un bon avocat ! Le soir quand on regardait la télé en mangeant du chocolat, elle passait son temps vautrée sur lui en tournant le dos à l’écran par snobisme, il en avait des crampes pleins les cuisses le pauvre, ne sachant comment s’en dépêtrer, et si par malheur on piquait du nez devant le film du dimanche soir, on les retrouvait emmêlés comme deux chiens vissés cul à cul qui essaient de s’en sortir sans seau d’eau. C’est pas un spectacle pour les enfants !

Eve pleure.

Bellemère : ça y est, elle recommence…
Eve : J’ai oublié d’aller les chercher à l’école, toutes les nuits j’oublie.

Bellemère : Au début on voulait bien qu’il ait des enfants comme tous le monde, mais très vite je lui ai déconseillé de faire des gosses de divorcés, c’est vrai la maîtresse les remarque tout de suite, à leur raie qu’est pas droite.

Adam : De toute façon les enfants faut déjà pouvoir les faire, on croit que c’est facile…

Bellemère : Elle l’a angoissé de la tête au pied, c’était un gosse espiègle et un adolescent entreprenant, elle l’a complètement inhibé avec sa littérature et son agnosticisme, y croit plus en rien le pauvre, on va le soigner avec son père.

Beaupère : Oui, il va commencer par prendre une année sabbatique, hein ? Après on verra.

Bellemère : Du surmenage, depuis qu’il est avec elle il n’a plus le droit de passer ses vacances chez nous. On a une maison de famille dans la Creuse, ils y viennent quand on n’est pas là, elle pousse des cris et dans le village on nous regarde bizarrement. Elle ne le laisse même pas retourner aux sources, il ne peut même plus aller au bistrot avec ses copains d’école primaire, c’était son plaisir : y boire douze pastis d’un coup pour voir qui s’écroule le premier. Non, elle doit être là à l’asticoter, à lui parler, à lui poser sans arrêt des questions : est-ce que tu m’aimes, est-ce que tu es bien avec moi, pourquoi tu dis rien, pourquoi tu te lève à sept heures du matin alors que j’aime faire la grasse matinée, pourquoi tu passes tout le dimanche à regarder les courses de voiture à la télé alors que je veux visiter la Tapisserie d’Aubusson… Enfin c’est simple il a le droit de rien faire. Au début il sont venus se faire nourrir pendant dix jours de vacances, elle se promenait dans tout le village avec un mini short à pois…

Beaupère : C’est plus de son âge !

Eve : Vous l’avez déjà dit vieux cochon lubrique !

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