Coït réservé

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Genre : Tragi-comédie
Répertoire : Adulte
Distribution : 3 personnages (2H-1F)
Durée : 20 minutes
Thèmes : Couple/ Société
Sujet : un homme et une femme pris dans les filets d’une société qui exige la transparence, où la frontière entre vie publique et vie privée n’existe plus, n’arrivent plus à s’aimer…

Commande du Théâtre du Rond-Point

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Extrait

La femme et l’homme font l’amour dans une baignoire.

L’homme – Je ne vais pas y arriver.

La femme – Arriver où ? Ça fait dix ans que tu dors dans la baignoire parce que ça me fend le cœur de t’entendre crier « manman » toutes les nuits dans un mugissement déchirant.
Mugissement de vache.
T’es pathétique !

L’homme – Arrête de me critiquer, je vais perdre le reste de mes moyens.
Ils continuent à essayer de faire l’amour.
Entre un peintre en bâtiment, les pinceaux à la main.
Juste au moment où je pouvais espérer un mieux…

Le peintre – Je viens pour ravaler.

La femme – Il n’y a rien à avaler ici, le frigo est vide.

L’homme – Et les murs sont transparents.

La femme – Vers les spectateurs. Ils peuvent nous voir de partout. Le quatrième mur, de la foutaise ! C’est la nouvelle législation sur la transparence. La plus grande cruauté de nos gouvernants. L’intrusion. Vous êtes entré sans frapper.

Le peintre – Ben oui, j’ai pas rencontré de murs.

L’homme – Alors qu’est-ce que vous voulez peindre ?

Le peintre – la girafe.

La femme – Ah non, il y a déjà une vache ici, une grosse vache les pis traînant jusqu’à terre dans la bouse fraîche de nos verts pâturages…

L’homme – S’il te plaît, laisse ma mère tranquille et garde ta poésie pour nos tête à tête.

La femme – Parlons en de nos tête à tête, de nos tête à queue…

L’homme – Excusez-la, c’est pas facile en ce moment de garder un petit quant-à-soi.

La femme – Ne mêle pas Kant à notre intimité, c’est déjà assez compliqué comme ça.

Le peintre – j’ai oublié de me présenter : Emmanuel Kant, peintre en bâtiment et philosophe. C’est en forgeant que l’on devient forgeron et c’est en peignant que « Les fondements de la métaphysique des mœurs » ont été fondés. Je tente de répondre aux questions suivantes : que puis-je savoir ? Que dois-je faire ? Que m’est-il permis d’espérer ?

L’homme – Rien

La femme – Tu vas un peu vite.

Le peintre – Voici ma carte de visite, vous savez où me joindre en cas de besoin.
Il s’en va.

L’homme – Ben mince, t’attendais un philosophe ?

La femme – Non, ni un peintre.

L’homme – On n’est jamais prévenu… une nouvelle loi sans doute, un ministre philosophe faisant du porte à porte pour homogénéiser la pensée.

La femme – Le lait homogénéisé passe encore…Mugissement de vache.
Ça y est dès que l’on parle du lait on voit sa queue !

L’homme – Hors de lui. Personne n’empêchera la crème de remonter à sa guise. Jamais !

La femme – Vers les spectateurs. Surveille-toi, on nous entend aussi de partout.

L’homme – Page 655 du micro Robert, lait homogénéisé : qui a subi un traitement empêchant la crème de remonter. Jamais, vous m’entendez, jamais…Il se met à pleurer.

La femme – Qu’est-ce qui t’arrive ?

L’homme – Je ne sais plus où on en était arrivés.

La femme – Comme d’habitude on n’arrivait à rien.

L’homme – C’est pas beaucoup.
Tu te souviens quand on allait le soir pique-niquer au bord du canal et qu’on regardait le soleil s’y noyer dans une dernière incandescence… c’était beau.

La femme – C’est pas gai.

L’homme – On était bien.

La femme – Ah bon.

L’homme – Fais un effort, le passé on peut lui faire dire ce que l’on veut… Qu’est-ce que tu fais ?

La femme – Je préfère le présent, je me déshabille… voir même le futur antérieur…Elle récite…quand je me serais déshabillée, il me fera l’amour….

L’homme – Il ne bandera pas.

Entre un homme habillé en femme.

La femme – Qui c’est celle-là ?

L’homme – Ciel ma mère.

La femme – Elle est méconnaissable.
Vous pourriez frapper.

La mère – A quelle porte ?

La femme – C’est vrai.

La mère – Elle étouffe son fils entre ses deux seins. Bonjour mon grand.

La femme – Et moi je fais partie du lot ?

La mère – Je venais vous aider à repeindre votre appartement… Je vois que ce n’est plus la peine.

L’homme – Sortant à moitié étouffé du giron de la mère. Qu’est-ce qu’ils ont tous à vouloir peindre des murs qu’on n’a pas.

La femme – La nostalgie.

La mère – Vous êtes bien ici, belle vue dégagée…

L’homme – Un peu trop.

La femme – Ils y vont un peu fort sur la transparence en ce moment.

La mère – C’est une bonne chose, l’intimité faut s’en méfier, mon grand viens nous voir plus souvent, ton père ne sait pas quoi dire aux voisins quand ils demandent de tes nouvelles, on montre des vielles photos on a l’air bête. Elle sort.

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